La compassion 1/6 : « La compassion dans le bouddhisme »

Un enseignement transmis à Dhagpo Kagyu Ling en août 2016

Lama Jampa Thayé

Introduction

La compassion est extraordinairement importante dans le bouddhisme, pour le voyage spirituel vers le plein et parfait éveil, développer la compassion est la façon la plus sûre de trouver la joie et le bonheur dans notre vie ensemble.

Il faut voir cet enseignement sur la compassion comme le merveilleux chemin qui permet d’atteindre l’éveil. A partir du moment où nous développons la compassion envers les autres, nous éprouvons un bienfait pour nous-mêmes également. La compassion peut paraître difficile, mais le paradoxe est que plus on se soucie des autres plus on éprouve de joie.

J’aimerais partager ce qu’est la compassion dans le contexte bouddhique et montrer des façons d’être, que ce soit au niveau de la méditation ou dans la vie quotidienne.

Dans l’explication de la compassion, il est important de distinguer la compassion d’une idée que nous pouvons en avoir, qui peut être erronée, et au lieu de nous apporter beaucoup de joie et de bonheur, peut nous apporter de la peine.

Le terme compassion est à la mode aujourd’hui, partout où que j’aille, j’entends ce mot, que ce soit les politiciens dans leurs discours, que ce soit dans la publicité pour faire vendre des produits, que ce soit les stars de cinéma ou bien encore les gourous qui prêchent la compassion encore et encore. Aujourd’hui, on n’entend que ça, et peut être qu’en tant que bouddhistes, nous devrions nous estimer heureux qu’il y ait un tel engouement pour la compassion. Parce qu’il est vrai que dans les enseignements du Bouddha il est dit que quiconque souhaite atteindre l’état de bouddha, n’a pas un large éventail d’enseignements à étudier, le seul qui soit le plus utile est celui de la compassion.

Quand j’y réfléchis, je me demande si c’est de la véritable compassion dont il s’agit, je crois que dans de nombreux lieux et de nombreuses personnes confondent la compassion avec sa demi-sœur la sentimentalité, elles parlent de compassion mais dans le cœur de ces personnes, c’est en fait un ressenti sentimental.

La compassion et la sentimentalité

Pour développer la compassion de façon appropriée, il est nécessaire de distinguer ce qu’est la véritable compassion de sa fausse version, la sentimentalité. La compassion réelle se tourne vers les autres, elle s’inquiète de ce qui se passe pour l’autre, elle s’enquiert des besoins de l’autre ; tandis que la sentimentalité est tournée vers soi-même et uniquement soi-même, c’est moi et mes ressentis. La sentimentalité est utile et particulièrement dans notre culture aujourd’hui, parce qu’on a toujours besoin de se sentir bien. La sentimentalité peut nous faire dire de belles choses, mais en fait il n’y a pas de souci de l’autre, on ne prend pas l’autre en considération.

Prenons par exemple une mère tellement inquiète de son ressenti qu’elle agit de façon idiote pour ses enfants, par exemple en faisant quelque chose qui rend ses enfants contents. La maman se sentira bien, mais ce qu’elle a fait ne rend peut être pas service à ses enfants. Peut-être n’est-elle d’aucune utilité pour ses enfants, et cela ne va pas leur permettre de se développer de la bonne façon. La sentimentalité peut paraître extérieurement parlant tout à fait louable, mais peut se révéler totalement désastreuse.

Il est donc important de distinguer la compassion de la sentimentalité.

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Lama Jampa Thayé enseignant à Dhagpo en Dordogne.

La compassion authentique

Deux points pour différencier la compassion de la sentimentalité
Quand on appréhende la compassion du point de vue bouddhique, il y a deux points qui nous permettent de différencier la compassion authentique de la sentimentalité

Au niveau de la compassion, ce que l’on souhaite pour les autres, c’est qu’ils trouvent le bonheur, qu’ils soient libres de toute souffrance. Ce souhait est toujours en accord avec les enseignements bouddhiques très clairs et percutants de l’éthique.

La première façon de distinguer la compassion bouddhique, c’est seulement en vivant une vie éthiquement correcte que nous pouvons atteindre le bonheur et être tout à fait libéré du mal-être. La sentimentalité ne prend pas cela en compte, elle ne prend en compte que notre propre ressenti, ce que l’on souhaite pour soi-même. On ne se soucie pas des actions des autres qui les mènent au bonheur ou au malheur. Dans le cadre de la compassion bouddhique, on se soucie que nos actes nous mènent au bonheur, c’est le socle, et c’est parce qu’on veut le mieux pour les autres, qu’on souhaite qu’ils aient ce bonheur-là. Dans le cadre de la sentimentalité, on ne regarde pas ce que font les autres, si cela les amène à un véritable bonheur ou pas, parce que c’est seulement soi-même qui est concerné. Tandis que la compassion authentique est toujours en accord avec l’enseignement du Bouddha.

La compassion bouddhique est toujours dotée de sagesse, nous devons toujours nous inquiéter que notre compassion soit sage, parce que sans cela on ne peut pas produire un état d’esprit bénéfique pour les autres, et alors il est complètement inutile de prétendre à l’éveil. Un grand maitre bouddhiste indien, Saraha, explique ce besoin d’avoir les deux : la sagesse et la compassion, il dit : “quiconque médite la vacuité sans la compassion ne pourra pas cheminer sur le chemin suprême, et quiconque médite sur la compassion sans la dimension de sagesse, sans la compréhension de la vacuité, ne sera pas libéré”. Pour atteindre l’éveil, il faut unir ces deux aspects, la sagesse et la compassion. En explorant la relation entre la sagesse et la compassion, nous allons pouvoir découvrir pourquoi nous devons être compassionné, pourquoi embrasser le chemin de la compassion, pourquoi elle est naturelle, innée en nous. Dans le cadre bouddhiste, il est particulièrement important de comprendre l’importance de la compassion.

La sagesse bouddhique

De la façon la plus profonde, la sagesse bouddhique permet de trancher les présomptions erronées, ainsi que toutes nos fausses croyances dans le fait que nous possédons un soi, une identité permanente, singulière et autonome. Parfois on pense que ce soi se trouve à l’intérieur de notre corps, dans notre esprit, parfois on pense qu’on le possède, en fait nous avons tous telle ou telle croyance, la sagesse permet de trancher cette croyance.

Aussi longtemps que nous attachons à cette croyance erronée, nous dessinons une fracture, la dualité de soi et les autres, cette fracture est la base de toutes nos émotions, de toutes nos afflictions, qu’il s’agisse du désir, de la haine, de l’ignorance et c’est sur cette base-là que tous les actes néfastes prennent place.

Emporté par notre désir, ou notre haine ou notre ignorance, nous agissons contre le monde, tantôt parce que c’est mon ennemi, tantôt parce qu’il est ma possession. Nous sommes toujours à l’origine de la production du mal-être pour les autres et pour nous-mêmes, parce qu’il y a toujours une frustration, parce que nous ne pouvons pas contrôler le monde. C’est sur la base d’un soi permanent, unique et autonome, qui régit, qui contrôle, que toute la souffrance se déploie.

Nous sommes comme ensorcelés par cette croyance en un soi, mais, à tout moment, il est possible de se réveiller de ce sortilège, d’être libre du soi.

La compassion

Il s’agit d’appréhender cette même réalité en oubliant l’illusion d’un soi en se préoccupant des autres. Dans la perspective bouddhique, la sagesse et la compassion appréhendent la même chose, c’est-à-dire la liberté de l’illusion d’un soi. Au niveau de la nature de la réalité ultime, il n’y a pas une entité soi opposée à autre chose, ceci est une pure fiction.

Comprenant de cette façon, on se rend compte que la compassion n’est pas un sentiment temporaire, mais qu’il s’agit de quelque chose qui prend racine dans la nature ultime de la réalité, dans l’interdépendance de soi et des autres, dans la réalité telle qu’elle est. En d’autres termes, à son niveau le plus profond, la compassion et la sagesse constituent les deux faces d’une même réalité, la vacuité d’une part et l’interdépendance d’autre part, c’est ce qu’on appelle l’esprit d’éveil (sanskrit : la bodhicitta).

La bodhicitta est l’union de la compassion et de la vacuité, parce que là où il y a la sagesse, il y a compassion et là où il y a de la compassion, il y a aussi de la sagesse. Si c’est vraiment le cas, cela signifie donc que les deux sont naturelles, ici naturelles signifient qu’elles prennent racine dans la nature des choses, dans la réalité telle qu’elle est.

Pourquoi être compassionné ? Ce n’est pas parce que le Bouddha ou quelqu’un d’autre nous a dit que nous devons l’être, mais parce que plus nous nous approchons de la réalité des phénomènes, du monde, plus la compassion se développe en nous parce que la compassion est le reflet de la réalité ultime du monde.

Agir de façon égoïste est l’expression d’une vue erronée du monde, alors que répondre à ce que les autres éprouvent par la compassion revient à commencer à détendre l’emprise de la vue erronée d’un soi.

Lorsque l’on commence à être attentif aux autres, les murs étroits de nos habitudes égoïstes commencent à s’effriter. Plus nous nous ouvrons aux autres, plus la dimension de sagesse se développe en nous, parce que la sagesse, tout comme la compassion, répond à l’absence d’un soi, la compassion aide la sagesse et la sagesse aide la compassion.

La compassion est quelque chose de tout à fait raisonnable, elle est fondée dans la vérité des choses, plus on découvre la nature du monde, plus on développe la compassion.

Les méditations sur les quatre illimités

Après avoir vu ce qu’était la compassion, j’aimerais développer ce qu’est une compassion sage, un cœur sage. La meilleure façon est de s’entrainer dans des méditations spécifiques appelées « les méditations des quatre illimités : l’amour bienveillant, la compassion, la joie et l’équanimité ».

Pourquoi illimité ?

Une affection ordinaire que l’on peut porter à quelqu’un ou quelque chose, c’est une affection exclusive, concentrée sur une personne au détriment des autres. Alors que dans le cadre de l’amour bienveillant et la compassion, ils sont illimités par rapport à l’objet qu’ils embrassent, ils ne sont pas exclusifs et incluent tous les êtres. Donc, illimités parce que l’objet n’est pas limité.

L’affection que je porte à quelqu’un est temporaire, elle nait, se développe et disparait, alors que l’amour et la compassion authentiques ne déclinent pas dans le temps, ils sont illimités en termes de durée.

Donc, les quatre sont illimités en termes d’objet et de durée.

Pourquoi pratiquer ces méditations ?

Le développement de ces quatre est si radical qu’il mène au développement de l’esprit d’éveil (la bodhicitta), qui est la force véritable qui nous mène jusqu’à l’éveil. C’est pourquoi dans le grand véhicule enseigné par le Bouddha (le mahayana) les quatre illimités sont présentés comme l’impulsion qui provoque l’émergence du développement de la bodhicitta.

Il y avait des personnes qui, du temps du Bouddha, ne souhaitant pas nécessairement atteindre l’éveil, allaient le voir pour requérir une méthode pour avoir une meilleure vie ou renaitre dans des destinées divines. Le Bouddha les engageait toujours à pratiquer ces méditations des quatre illimités, c’est pourquoi elles sont nommées “les quatre demeures de Brahma”, Brahma signifiant la destinée des sphères pures.

Plus simplement, si quelqu’un venait voir le Bouddha et lui demandait comment faire pour aller au paradis, le Bouddha lui disait de pratiquer les quatre demeures de Brahma.

Si on souhaite développer la compassion et toutes les autres vertus sociales, on connaitra le bonheur dans cette vie, et cela peut nous mener dans des destinées pures, et si on embrasse le chemin du mahayana, cela mène jusqu’à l’éveil.

Il semblerait donc que les Beatles avaient raison, quand ils chantaient “All you need is love” ! (Tout ce dont vous avez besoin est l’amour).