La compassion 6/6 : Conclusion

Un enseignement transmis à Dhagpo Kagyu Ling en août 2016

Lama Jampa Thayé

Les bienfaits des quatre illimités

Cela peut sembler paradoxal : même si on considère que ces quatre illimités nous demandent d’abandonner notre habitude égoïste, nous nous rendons compte que plus nous les pratiquons, plus nous voyons qu’elles constituent un chemin facile et joyeux.

Le chemin est merveilleux parce que tous les êtres que nous rencontrons deviennent des amis qui font avancer, et comme l’a dit Shantideva : « Même si nous devons vénérer les bouddhas pour ce qu’ils nous ont donnés, nous devons de manière égale vénérer les êtres parce qu’ils nous donnent l’opportunité de nous développer ». Donc, travailler pour les autres nous offre finalement de la joie et c’est cela le merveilleux paradoxe.

Notre rencontre avec des êtres qui peuvent être présentement dépourvus de bonheur nous fournit l’opportunité de trouver la capacité à l’amour bienveillant. Notre rencontre avec ceux qui sont affligés par la souffrance nous inspire pour développer la compassion. Ces vertus sacrées que sont l’amour et la compassion vont nous transformer dès à présent et nous inspirer sur le chemin jusqu’au but final.

Si on se pose cette question : finalement qui accomplit le bienfait de qui lorsque l’on génère l’amour bienveillant et la compassion ? Souvent on peut penser que c’est moi qui accomplit le bienfait des autres en pensant qu’on en est à l’origine. Mais si on réfléchit bien, on se rend compte que ce sont ceux qui nous inspirent à ouvrir notre cœur, à développer ces qualités qui sont bienfaisantes pour nous. Les autres sont ceux qui nous permettent de faire sortir de nous ce que nous pouvons devenir, et finalement de générer la compassion qui nous permet de devenir un bouddha.

C’est la raison pour laquelle Shantideva dit que nous devons vénérer les êtres sensibles et les bouddhas de manière égale, parce qu’ils nous inspirent sur le chemin. Ce processus illustre une fois encore l’interdépendance des phénomènes, parce que sans les êtres il n’y aurait pas de cause pour générer l’amour bienveillant et la compassion. Comme pour tout le reste, il ne s’agit que de la dépendance mutuelle des phénomènes.

Grâce aux êtres qui m’aident à trouver cette capacité pour l’amour bienveillant et la compassion, cela mène en fait à restaurer une confiance personnelle, cela remédie à la tendance de penser du mal de soi-même, à se rabaisser, parce que c’est un obstacle au chemin de douter de nos propres capacités. Le fait de trouver l’amour et la compassion vient restaurer cette confiance en nous-mêmes.

La méditation sur ces quatre illimités est source d’un grand bienfait dans notre vie, et de façon encore plus significative, ces méditations constituent une préparation, les préliminaires à l’émergence de la bodhicitta.

Se libérer du samsara

Développer si fort ces souhaits amène une question : comment puis-je véritablement placer les êtres dans un état de bonheur, libre de tout mal-être ? On est alors confronté avec cet état de fait : présentement, en tant qu’être ordinaire englué dans nos habitudes égoïstes et dans notre perception rigide des choses, nous n’avons pas la capacité de placer les êtres dans un état de bonheur véritable, libre de souffrance.

Je ne suis pas moi-même réveillé du sommeil de l’ignorance dans lequel je suis, et je n’ai toujours pas tranché les voiles qui m’obscurcissent, causés par les émotions perturbatrices. Comment puis-je montrer aux autres le chemin d’un état définitif au-delà de la souffrance et un état définitif de bonheur ? En d’autres termes, je le souhaite mais je ne sais pas comment l’accomplir.

Si je regarde autour de moi, c’est la même chose pour tous les êtres, qu’il s’agisse des êtres au plus bas du samsara comme ceux qui sont les plus haut placés, tous sont emprisonnés dans la saisie de l’ego. Même les dieux du monde du désir, de la forme et du sans-forme sont prisonniers. Comme le dit Gyaltsen Thogmé :  « C’est la raison pour laquelle il ne faut pas prendre refuge dans les dieux mondains : comment ceux qui sont prisonniers pourraient-ils nous libérer ? »

Même les grands pratiquants du véhicule des anciens, le hinayana, comme Shariputra ou Modgalyana, ne sont pas non plus capables de guider les êtres hors du samsara. Mais un bouddha peut le faire, parce que la bénédiction de ses corps, parole, esprit peut réveiller les êtres du sommeil de leur ignorance, c’est possible parce qu’ils ont dissous les deux obscurcissements principaux, les voiles des émotions et de l’ignorance au sujet de la nature de la réalité.

Réaliser l’état de Bouddha

Parce qu’ils se sont éveillés de l’ignorance, leur sagesse transcendante connait la nature des phénomènes, c’est-à-dire la vacuité. Parce que leur manifestation est en interdépendance, on les dit pleinement omniscients. Ils ne sont pas seulement sagesse transcendante, ils sont également compassion illimitée qui embrasse tous les êtres comme s’ils étaient leur enfant unique. Ils possèdent également le pouvoir de détruire tous les obstacles à la réalisation. Le Bouddha est la source de tous les bienfaits des autres, venir sous sa bénédiction signifie pouvoir actualiser un véritable bonheur et mettre un terme à la souffrance.

Le Bouddha n’est pas que sagesse, il est également compassion illimitée qui embrasse tous les êtres.

Lorsque l’on se pose la question, qui peut donc me placer dans un bonheur ultime libre de toute souffrance ? La réponse est « je peux le faire », parce que j’ai le potentiel de devenir bouddha, parce que les qualités de bouddha existent déjà dans notre courant d’esprit. Devenir un bouddha est dans ma capacité, parce qu’il suffit de dissiper ce qui obscurcit la nature de bouddha : une fois celle-ci dévoilée, ce qui est là c’est la sagesse, la compassion et le pouvoir d’accomplir le bienfait des êtres.

C’est ainsi que la compassion et les autres illimités mûrissent sur le chemin pour devenir la bodhicitta. Méditer les quatre illimités crée un espace dans le cœur et dans l’esprit, un espace dans lequel la bodhicitta, cette résolution à atteindre l’éveil pour tous les êtres, émerge.

De façon plus spécifique :

  • La bodhicitta émerge de l’acceptation universelle des autres, l’équanimité
  • La bodhicitta s’élève du souhait que tous les êtres rencontrent le bonheur, l’amour bienveillant
  • La bodhicitta nait de la détermination à être capable de libérer tous les êtres de la souffrance, la compassion
  • La bodhicitta émerge de la joie, qui est le fait de se réjouir lorsque les souhaits de bonheur et de libération de toute souffrance sont accomplis

Les quatre illimités sont comme quatre rivières qui se rejoignent dans la rivière principale qu’est la bodhicitta. Il ne s’agit pas d’abandonner ces méditations lorsque la bodhicitta est développée, il nous faut la maintenir, la renforcer, l’accroitre.

Ceci est exprimé de façon magnifique par Shantideva dans « La marche vers l’éveil » (chapitre 3, vers 21 à 24) :

Comme la terre et les autres éléments, puissé-je toujours à l’échelle de l’espace, être la source qui pourvoie aux multiples besoins de l’insondable foule des êtres.

Puissé-je ainsi pourvoir aux besoins des êtres jusqu’à la fin de l’espace, en tout lieu et en tout temps, jusqu’à ce que tous atteignent le nirvana.

De même que les bien-allés ont engendré l’esprit d’éveil et observé progressivement les pratiques des bodhisattvas,

J’engendrerai l’esprit d’éveil pour le bien des êtres et m’entrainerai graduellement à respecter ces pratiques.

 

Shantideva : Puissé-je pourvoir aux besoins des êtres jusqu’à la fin de l’espace.

Nous en arrivons à la fin de cette courte explication de la compassion du point de vue du Dharma. J’ai essayé de définir la compassion et les quatre illimités d’après les enseignements traditionnels et, de temps à autre, j’ai aussi essayé d’éliminer les visions erronées que l’on peut en avoir, en suivant l’exemple de Patrul Rinpoché notamment qui, lorsqu’il enseignait, était toujours vigilant à expliquer les erreurs qui peuvent être commises. Pas dans un esprit de critique, mais pour éviter que les personnes qui suivent ce chemin fassent des erreurs et pour faire en sorte qu’elles puissent obtenir le plein accomplissement du Dharma. Je ne suis pas moi-même Patrul Rinpoché, mais j’ai essayé de suivre son exemple.

J’ai beaucoup de gratitude en pensant à cet enseignement de Patrul Rinpoché “Le chemin de la  grande perfection” que j’ai reçu, il y a à peu près 30 ans, de Karma Trinley Rinpoché. J’y ai beaucoup repensé parce que chaque nuit, pendant un mois, il m’a enseigné, chapitre après chapitre, l’entièreté de ce texte. Ici je l’ai suivi dans mon explication et, en préparant cela, j’ai pensé à cette chance que j’ai eu de le recevoir ainsi.

Lama Jampa Thayé